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Augustin Paluel-Marmont : « Chacun d’entre nous a besoin d’écrire son propre récit »

Cofondateur en 2004 de l’entreprise Michel et Augustin, spécialisés dans les produits alimentaires (biscuits, yaourts …), Augustin Paluel-Marmont a su bâtir un récit inventif et convivial pour établir sa marque, acquise par Danone en 2019. Cet entrepreneur passionné en est convaincu, les histoires intimes et collectives qui nous façonnent sont faites pour être transmises.

La première histoire qui vous a marqué ?

Le Lion de Joseph Kessel m’a laissé un grand souvenir. Celui d’une enfance sous le signe de l’utopie, très éloignée de ma vie de citadin. Ce roman exalte comme peu d’autres le mythe de la nature préservée, de la puissance animale, de la beauté des paysages… Cet imaginaire m’a inspiré et m’inspire encore un sentiment de liberté et de beauté extraordinaire.

Pourquoi avons-nous tant besoin de récits ?

Parce qu’ils nous enrichissent et nous inspirent. Chacun d’entre nous a besoin d’écrire son propre récit de manière consciente ou inconsciente. Quand je rencontre quelqu’un, la même question me vient sans cesse : « Quelle est ton histoire ? » Collectivement, nous avons un énorme problème de récit national en France. Comment nous retrouver autour d’un récit qui n’est pas la nostalgie du passé, mais un tremplin vers un avenir dont nous sommes tous acteurs, avec nos différences, nos singularités et nos talents ? Cette question me préoccupe. 

Collectivement, nous avons un énorme problème de récit national en France.

Plutôt roman réaliste ou histoire à dormir debout ?

Je lis de tout mais surtout des témoignages, des récits et des essais. En choisissant tel ou tel livre, je me demande toujours en quoi il peut me faire grandir. Même exigence quand je vais au cinéma ou au théâtre : quels messages clés l’écrivain ou le scénariste essaye de faire passer, que puis-je en retenir ? Au-delà du divertissement, j’attends d’une œuvre qu’elle fasse de moi une meilleure personne. Beaucoup de créations manquent d’un message fort… ou alors c’est moi qui passe à côté !

Vous-même, vous écrivez ?

J’ai davantage un talent de conteur. J’ai donné des centaines de conférences mais la rédaction n’est pas mon point fort. L’oralité offre une spontanéité que l’écrit ne peut égaler. Pourtant, j’adore écrire. Je m’efforce de trouver le mot juste, de construire des phrases qui ont du sens. L’écriture cristallise une pensée et cet exercice est épuisant. Je peux passer une journée entière sur un simple paragraphe, car il ne correspond pas exactement à ce que je veux exprimer, ou parce que la musicalité de la phrase n’est pas à la hauteur.  

Un récit de marque inspirant ?

Celui des glaces Ben&Jerry’s m’a énormément appris. Sans cet exemple, nous n’aurions jamais lancé Michel et Augustin ni osé entreprendre en restant nous-mêmes. Ben Cohen et Jerry Greenfield nous ont fait comprendre qu’une autre narration était possible, à la fois loufoque et authentique, amusante et novatrice.
Dans un autre registre, je trouve le récit de Virgin tout aussi extraordinaire. Cette créativité un peu « dingo », cette capacité à prendre des risques et à embrasser une vision du monde …

Un mythe, un récit qui raconte notre époque ?

Le mythe de Sisyphe, pour ce sentiment d’éternel recommencement qui me saisit souvent en regardant l’actualité. Les discours politiques sont exactement les mêmes qu’il y a 50 ans. Comme le signe d’une incapacité à réinventer un logiciel porteur d’avenir. Et pour tout dire, je trouve cela parfois décourageant.

Une bonne histoire, ça tient à…

L’émotion et l’authenticité. Pour moi, une bonne histoire est toujours une histoire vraie. 

Un film, une série qui vous accompagne ? 

Les quatre premières saisons de La casa de papel m’ont bien plu. Dans cette série espagnole, un groupe de malfaiteurs portant des masques de Salvador Dalí commet des braquages audacieux. Chaque personnage porte le nom d’une capitale étrangère : Berlin, Nairobi, Tokyo… C’est tout bête, mais j’ai adoré ça ! Aujourd’hui, je ne regarde plus que des mini-séries de six ou sept épisodes, sinon je ne m’en sors plus.  

Une pub inoubliable ? 

Celle des bonbons Cachou Lajaunie. Simple et efficace. 

Un récit anti-crise à partager ?

Celui de la marque de chaussures Veja me semble particulièrement en phase avec les aspirations de notre époque. Née la même année que Michel et Augustin, cette entreprise a construit un succès qui deviendra sans doute international. Dans un monde où il faut crier et montrer ses muscles pour se faire entendre, les créateurs de Veja se distinguent par leur discrétion. C’est une marque très douce, pas du tout ostentatoire, ayant su cultiver une forme de sobriété (dans ses choix, ses modes de production, sa communication…) avant que cette vertu soit à la mode. Je trouve cette recherche de sens et de simplicité remarquable.   

La meilleure façon de finir une histoire ?

Ce n’est jamais simple. Peut-être que l’espérance est l’élégance d’une histoire. Le mot « fin » doit résonner comme une invitation à agir, à se projeter. Si un récit s’achève sur un appel à se mettre en route, alors c’est gagné.

Crédit photo : KTO

Propos recueillis par F-X M.