Pour la directrice de la communication de Radio France, les histoires que l’on transmet nous aident à clarifier notre regard sur le réel, en faisant
« comprendre sans avoir à faire vivre ».
Quelle est la première histoire qui vous a
marquée ?
Je ne sais pas si c’est la première histoire qui m’a marquée mais il y en a une qui résonne avec mon présent. J’ai des enfants en bas âge et je me suis récemment demandé comment j’allais leur apprendre le sens du mot intimité, le respect de celle des autres et le respect de la leur. Comment les protéger sans les effrayer ? Il s’avère que quand nous étions petits, avec mes cousins nous avions vu une vidéo explicative dont le clou du spectacle était une chanson.
Ça disait « Mon corps c’est mon corps, ce n’est pas le tien ; tu as ton corps à toi, laisse le mien ! ». La musique et les paroles étaient si entraînantes qu’on ne les a jamais oubliées à presque 40 ans chacun ! La force de ce récit est double : malgré nos jeunes âges, nous en avions parfaitement compris la signification et je suis persuadée que face à un agresseur nous aurions été plus forts avec ce mantra en tête ; en même temps, on en riait allégrement, en la chantant à tue-tête, ce qui permettait de mettre de la distance face à la gravité de la menace dont on nous parlait en réalité. Je vous l’accorde, je n’ai pas choisi l’exemple le plus léger mais il m’est récemment revenu en tête et il montre bien ce que les histoires permettent : faire comprendre sans avoir à faire vivre. C’est important.
Pourquoi avons-nous tant besoin de récits ?
Je ne sais pas quelle technique vous aviez, enfants, pour apprendre des textes compliqués par cœur. Même quand ça n’avait ni queue ni tête pour moi, il fallait que je crée des liaisons entre les idées, que j’invente des causalités, ajoute des intonations, que je donne des significations à des mots inconnus, et aussi parfois que je chante tout ça car la mélodie liait ce qui ne me semblait pas avoir de lien… Sinon impossible à retenir ! Je crois que c’est ça le récit, c’est ce qui fait qu’on retient quelque chose d’un ensemble à première vue informe, car dans la vie aussi parfois ça n’a ni queue ni tête.
Plutôt roman réaliste ou histoire à dormir debout ?
Quand c’est trop irréaliste ça me laisse sur le bord du chemin…
Vous-même, vous écrivez ?
J’ai commencé ma carrière comme plume, je suis entrée dans la communication par l’écriture, une école de la mise en récit. Mais ce n’est pas pareil d’écrire pour d’autres que d’écrire pour soi. C’est vertigineux d’écrire pour soi.
Quel récit guide aujourd’hui Radio France ?
Naturellement, le récit dominant à Radio France est celui du service public. C’est un récit puissant qui veut dire beaucoup pour ses salariés comme pour ses auditeurs. La maison est aussi traversée par un autre récit, quelque chose autour du son, qui se niche dans l’oreille… et dans le cœur. Pendant longtemps, c’était fort surtout en interne car, pour passer les murs de la maison ronde, un récit de service public doit nécessairement être tourné vers le grand public, raconter ce que l’on apporte d’utile à la société. C’est en voyant les dérives de l’époque, que sont la dispute permanente et le pouvoir d’attraction des écrans, que ça nous a sauté aux yeux. Ce deuxième récit vers lequel on était attiré sans l’avoir encore formulé, c’était celui de l’écoute. Radio France, en plus d’être un service public, est un promoteur de l’écoute, dans une société qui en a cruellement besoin. Voilà une deuxième raison d’être, complémentaire de la première, et totalement ancrée dans l’actualité.
Un récit de marque inspirant ?
J’aime les marques ultra populaires. Decathlon, McDo. Quand c’est sorti il y a près de 20 ans, je n’ai pas tout de suite compris la force de « Venez comme vous êtes ». Ça me faisait même rire : « c’est pas comme si on avait prévu de se mettre sur notre 31 les gars ! ». C’était sans compter ce samedi de mariage où on a débarqué à 20 dans un Mcdo d’une petite ville dans nos habits de lumière en attendant le cocktail… Et puis, passer à un M vert, valorisant les produits locaux, alors que le rouge était installé et la marque tellement américaine… Aujourd’hui je m’incline, c’était du génie.
Une série qui raconte notre époque ?
Je suis sûre que beaucoup répondent La fièvre cette année. J’aurais aimé être originale mais travaillant dans un média, je suis très attentive à ces mécaniques de bulles, de tentatives de manipulation, de polarisation. C’est bien senti et surtout ça tombait à pic. Les histoires qui marchent, c’est aussi une question de timing et celui-ci était magnifiquement calibré.
Quels sont, selon vous, les ingrédients d’une bonne histoire ?
Il faut des personnages forts, et faire suffisamment découvrir leur densité dans les premières pages et minutes pour qu’on ait envie de les suivre… où qu’ils nous emmènent.
Un film, une livre qui vous accompagne ?
Un album, ça compte ? Pour moi c’est la même mécanique. Il faut que l’objet soit artistiquement de qualité, il faut qu’il reflète une époque, un moment de votre vie, il faut que vous puissiez vous rappeler instantanément la sensation que vous avez eu la première fois que vous l’avez vu/entendu. Pour moi c’est The Miseducation of Lauryn Hill. Never gets old !
Une pub inoubliable ?
L’amour, Intermarché ! Là aussi, la place de la musique… !
Un récit anti-crise à partager ?
… L’amour, Intermarché !
La meilleure façon de finir une histoire ?
Jusqu’à récemment, je vous aurais dit qu’il fallait savoir clore une histoire. Choisir. Assumer une fin, désigner le coupable, que ça plaise ou non. Que c’était le rôle de celui qui raconte et pas de celui qui reçoit. Et puis j’ai vu Anatomie d’une chute. C’est fascinant de voir que, selon les cultures, le public est majoritairement convaincu qu’elle est coupable, ou convaincu de l’inverse. Finalement, j’y ai pensé longtemps, bien plus que si j’avais su ce qui s’était vraiment passé ? Sans doute.