Directeur de la marque Axa France et administrateur du Club des annonceurs, féru de cinéma, de littérature et de publicité, cet expert en communication dévoile les récits qui ont compté pour lui et continuent de l’inspirer dans son métier.
La première histoire qui vous a marqué ?
Les Trois brigands de Tomi Ungerer. Ce récit original avait du fond, même s’il se destine aux enfants.
Le lecteur y puise une morale, un point de vue sur la société. C’est ce que je cherche dans toute histoire : être embarqué dans un univers, poussé à la réflexion. Un bon récit contribue à construire l’intelligence.
Pourquoi avons-nous tant besoin de récits ?
Pour forger notre rapport à la réalité. Pour nous confronter à des questions nouvelles. Bref, pour nourrir notre regard sur le monde, sur les autres, sur la spiritualité… tout ce qui fonde notre richesse humaine. Les récits ont aussi le pouvoir de nous rassurer. Chaque histoire résume une vision du monde : elle nous permet de mieux l’apprivoiser.
Une histoire que vous aimez raconter ?
J’aime raconter la fable du Colibri à mes enfants. Son arc narratif crée un suspense imparable. Et en même temps, elle délivre un message très fort.
Plutôt roman réaliste ou histoire à dormir debout ?
J’apprécie les romans historiques, mais je ne dis pas non à une part de fantasme : je me laisse volontiers embarquer par les auteurs qui prennent des libertés avec les faits pour exprimer un point de vue singulier, même si j’ai besoin d’un socle de vraisemblance.
Un récit de marque inspirant ?
Celui de Total, dans les années 1990, a été extrêmement puissant, loin des difficultés d’image que rencontre aujourd’hui l’entreprise. « Vous ne viendrez plus chez nous par hasard » : tout le monde se souvient de cette signature, l’une des plus belles que je connaisse. Pendant des années, les pubs Total ont tourné autour de cette idée, permettant au groupe de prendre une longueur d’avance sur ses concurrents en se positionnant sur le service. Avec un ton souvent très juste, Total a su incarner tout le service qu’on peut apporter à quelqu’un qui vient juste faire le plein ou utiliser les sanitaires, parce qu’il n’a pas le choix. Ce récit, pour tout dire, s’est un peu fané. Mais il a permis à Total d’apparaître comme une marque proche des gens.
Un mythe, un récit qui raconte notre époque ?
Le mythe d’Icare me semble très actuel. Icare, prisonnier du labyrinthe, s’échappe grâce à des ailes fabriquées avec de la cire et des plumes. Mais à voler trop près du soleil, il finit par chuter. Icare, c’est Elon Musk, c’est Jeff Bezos. Des hommes si confiants en eux-mêmes qu’ils sont prêts à déplacer des montagnes. Leurs innovations transforment le monde. Mais ne manquent-elles pas parfois de limites ? Plus dure sera la chute !
Une bonne histoire, ça tient à…
D’abord à une bonne accroche. Faire en sorte que l’auditeur, le lecteur, le spectateur morde à l’hameçon, qu’il ait l’impression qu’il va en avoir pour son argent en restant jusqu’au bout. Un impératif d’autant plus fort que nous faisons face à une très grande crise de l’attention.
Un film, une série ou un livre qui vous accompagne ?
Le grand cœur de Jean-Christophe Rufin, qui dépeint la vie de Jacques Cœur, argentier du roi Charles VII. Un roman extrêmement bien écrit et débordant d’imagination, lorsque l’auteur imagine des discussions, des liaisons dont on ne sait rien sur le plan historique.
Une pub inoubliable ?
Les pubs de l’assureur néerlandais Centraal Beheer sont souvent très drôles. L’une d’elles, sortie en 2007, est devenue mythique : un homme effectue une séance d’acupuncture dans un hôtel asiatique délabré. Un incendie se déclare, l’acupuncteur s’enfuit. Le patient ouvre la fenêtre, piégé par les flammes. En bas, les pompiers ont tendu une toile pour lui permettre de sauter. Il réalise alors qu’il est couvert d’aiguilles. Et la chute tient à ces trois mots : « Just call us ». Intrigante et suggestive, cette pub géniale parvient à faire passer l’idée qu’un bon assureur est essentiel !
Un récit anti-crise à partager ?
En septembre 2022, nous avons lancé avec Axa une campagne publicitaire conçue comme un éloge de tout ce qu’il y a de positif dans la société française. Quand on tape « les Français sont » sur Google, le moteur de recherche nous propose tout de suite « râleurs ». Nous voulions prendre le contrepied de cette réputation. La crise des retraites se profilait, sans parler de la guerre en Ukraine, de l’inflation… Dans ces moments, les clivages peuvent se renforcer, la violence peut monter dans la société. Nous voulions au contraire souligner le pouvoir de l’entraide, à travers des actions symboliques : au bord d’une route après une crevaison, dans la file d’attente d’une boulangerie… Oui, les crises sont là. Mais elles peuvent être dépassées par la bienveillance, la générosité et la solidarité.
La meilleure façon de finir une histoire ?
Par un retournement de situation, ou une touche de mystère. L’inattendu laisse une trace mémorable, bien davantage que l’évidence.
Propos recueillis par F-X M.
